2. L’offre légale : une place encourageante dans les pratiques
Le rapport intégral de l’étude est diponible en libre téléchargement.
Des modes de consommation « mixtes »
Les résultats de l’étude mettent en lumière une façon de consommer l’animation japonaise très hétéroclite chez les fans Français. Premier constat : parmi les nombreux moyens de visionnage proposés, les interviewés ne se limitent pas à une seule solution et ont presque toujours recours à plusieurs canaux pour accéder à l’animation japonaise. Cette multiplicité des sources – quatre en moyenne – explique les scores élevés visibles dans le graphique ci-dessous.
Ainsi, deux tiers des participants affirment regarder des anime en DVD / Blu-Ray (un score élevé, sans doute lié aux réserves exprimées sur l’échantillonnage en section « Méthodologie »), et la moitié a recours au streaming sur des plates-formes généralistes (telles que YouTube, etc.), au streaming sur des sites listant les sorties de fansub, au téléchargement direct (sur IRC, plate-forme de téléchargement, etc.) ainsi qu’au streaming sur les sites des éditeurs. L’élément le plus marquant de ce classement tient au fait que celui-ci fait apparaître pêle-mêle des moyens de visionnage légaux et illégaux, sans qu’il s’installe de hiérarchie nette entre ces deux catégories. Alors qu’on aurait pu s’attendre à voir les canaux officieux occuper les premières places, c’est même la solution « DVD / Blu-Ray » qui domine !
Ces résultats suggèrent donc que les personnes interrogées utiliseraient des moyens de visionnage de tous horizons. Un focus sur cette variable permet d’entériner ce constat : 80 % des interviewés ont une consommation d’anime « mixte », c’est-dire qu’ils piochent à la fois en territoire légal et illégal. Cette mixité des modes de consommation se retrouve tant dans les résultats globaux que détaillés (par catégorie de population). A côté de cela, la part des utilisateurs de canaux légaux ou illégaux uniquement se révèle très marginale, ce qui peut indiquer deux choses : d’une part, les clients de l’offre légale ne sont pas entièrement satisfaits par celle-ci et se fournissent également ailleurs ; d’autre part, les utilisateurs des canaux illégaux ne sont pas systématiquement fermés à l’offre officielle.
Il est important de noter que le questionnaire de l’étude n’a jamais utilisé les qualificatifs « légal » et « illégal », cela afin d’éviter deux biais : d’un côté, que les répondants se sentent jugés et tendent à se positionner sur des opinions plus acceptables aux yeux de la société ; de l’autre, qu’ils ne répondent involontairement ou de manière erronée parce qu’ils n’auraient pas conscience du caractère légal ou illégal de leurs pratiques – une problématique centrale dans toutes les questions liées au piratage, et plus globalement aux infractions.
Dans le détail des moyens de visionnage, on observe tout d’abord l’influence de la fracture générationnelle : pour des raisons d’habitude, mais aussi de pouvoir d’achat, ce sont les plus âgés des interviewés qui ont davantage recours aux « anciens » médias – DVD / Blu-Ray et cinéma notamment. Les plus jeunes, a fortiori les mineurs, se distinguant quant à eux par une utilisation beaucoup plus forte de l’outil streaming. De manière plus anecdotique, un clivage de sexe se fait également jour : les femmes se révèlent ainsi généralement plus adeptes des méthodes « clé en main », c’est-à-dire les plus simples à mettre en œuvre, alors que les hommes utilisent davantage les canaux requérant des connaissances techniques.
Un rapport à l’achat plutôt favorable
On vient de voir qu’il était impossible de classer les interviewés selon les moyens de visionnage qu’ils utilisaient, puisqu’ils ont la plupart du temps recours à plusieurs canaux, souvent à la fois légaux et illégaux. La question qui se pose désormais, si l’on souhaite soutenir la production d’animation japonaise, est donc de savoir si les fans français sont susceptibles de participer au système économique de la création d’anime. Et la réponse est claire : 77 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà payé pour regarder de l’animation japonaise.
Les prestations payées par cette population d’« acheteurs » se révèlent également très diverses : 88 % déclarent avoir déjà payé pour des DVD / Blu-ray d’anime (au moins une fois dans leur vie – la fréquence d’achat étant difficilement quantifiable), 59 % pour une place de cinéma (une dépense quasiment obligatoire si l’on veut voir un film dès sa sortie), autour de 20 % pour les offres dématérialisées, etc. On observe même que 13 % des acheteurs – soit 10 % de l’ensemble des personnes interrogées – ont déjà fait un don à une team ou à un serveur de distribution de fansub ! Outre l’aperçu des sommes brassées par la filière illégale que donne ce chiffre, il permet de voir que même parmi une certaine frange des pirates, l’idée de « payer pour l’animation japonaise » est tout à fait envisageable. Dans le détail, on remarque que la fracture générationnelle impacte lourdement ces expériences d’achat : une plus grande part des trentenaires (avec les diplômés du supérieur et les consommateurs occasionnels) a ainsi déjà payé pour des supports physiques ou des places de cinéma ; mais cette tranche des plus âgés apparaît par ailleurs nettement en retrait dans l’utilisation des canaux dématérialisés (jusqu’à 10 points d’écart avec les plus jeunes).
Du côté des 23 % de participants qui déclarent ne jamais avoir payé pour regarder de l’animation japonaise, ce comportement est majoritairement expliqué par une insuffisance de moyens financiers (51 %). Comme on peut s’y attendre, cette raison est davantage invoquée par les plus jeunes – qui disposent de moins de pouvoir d’achat – et les très gros consommateurs. La principale surprise de l’étude sur cette question tient dans l’ampleur des réponses « militantes ».
Ainsi, au sein de la population des « non-acheteurs », un quart des interviewés déclare ne pas payer par principe ou considérer ne pas avoir à payer pour regarder de l’animation japonaise. En revanche, 28 % des non-acheteurs – soit 6 % sur l’ensemble des répondants – s’abstiennent d’acheter par insatisfaction de l’offre actuelle.
En définitive, et alors que les participants à l’étude révèlent un rapport à l’achat plutôt favorable (les refus militants cumulés n’excédant pas 11 % de l’ensemble des répondants), ils témoignent également d’une consommation très hétéroclite, en piochant un peu partout, à la fois en territoire légal et illégal. C’est un constat à double tranchant pour l’offre légale : elle n’est pas écartée par principe, mais n’est pas encore en mesure de capter toute la demande en animation japonaise.
ENJEUX
La dispersion des moyens de visionnage d’anime montre qu’un grand chantier s’ouvre pour l’offre légale en termes de catalogue, de facilité d’accès et de prix pratiqués. Consolider cette offre – également sous un aspect qualitatif, pour répondre à un motif de non-achat militant – constitue une première clé pour s’imposer auprès des spectateurs de tous horizons. L’autre clé tient dans un effort de pédagogie, à la fois pour montrer que les canaux illégaux – dont on a mesuré l’ampleur de l’utilisation – ne participent pas à la production de l’animation japonaise, mais aussi pour sensibiliser une population qui considère encore l’achat d’anime comme un acte « contre-nature ».