3. Perspectives pour l’offre légale : une consolidation nécessaire


Le rapport intégral de l’étude est diponible en libre téléchargement.


A un moment charnière de l’histoire de l’industrie de l’animation japonaise en France, où les acteurs dématérialisés se sont multipliés et où les diffusions simultanées avec le Japon sont devenues une norme, les prestations et produits disponibles en France ne manquent pas. S’il n’existe pas de recette miracle à importer, les éditeurs conservent une marge de progression significative pour répondre aux critiques et aux attentes formulées par les participants à la présente étude. Il serait d’ailleurs intéressant, pour commencer, de se demander quelle est l’opinion des fans français sur l’offre qui leur est proposée !

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Comme on peut le voir ici, les éditeurs d’anime en France, et plus précisément leur politique éditoriale, bénéficient d’une bonne image : trois quarts des personnes interrogées estiment en effet que les éditeurs sortent en général de bonnes séries. Néanmoins, le diagnostic de l’offre légale révèle une carence grave chez les acteurs du milieu : un déficit criant de notoriété. Comme le montre le graphique ci-dessus, la proportion de personnes incapable de se positionner sur des affirmations concernant la présence en ligne ou les services offerts par les éditeurs est extrêmement importante. La notoriété est un élément d’autant plus crucial que, comme cela est exposé plus avant, elle constitue un prérequis indispensable à la construction d’une image différenciée de l’offre illégale et à l’organisation d’événement susceptibles de prolonger l’expérience des œuvres.

L’offre dématérialisée : faciliter l’accès pour se différencier

Mesurée à l’été 2013, soit avant l’émergence des derniers acteurs du secteur (fusion de Genzai et Kazé Play en « Anime Digital Network », lancement de Crunchyoll France et de noco), l’opinion à l’égard de l’offre légale d’anime en ligne était positive, la majorité des participants à l’étude déclarant en être satisfaite, et doit même l’être davantage aujourd’hui au vu de la multiplication des simulcasts (appelée par 87 % des participants en 2013). Ce premier point doit toutefois être nuancé : comme on l’a vu, ce sont surtout les plus jeunes qui utilisent et plébiscitent l’outil streaming alors que les trentenaires – 18 à 19 points de satisfaction derrière – peinent à être convaincus.

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Ces dernières années ont vu le développement d’application pour accompagner les sites de distribution d’anime en ligne. Malgré l’impératif de présence sur tous les supports, les appareils connectés mobiles ne s’imposent pas comme des relais de croissance pour l’offre légale en ligne. En effet, le souhait de pouvoir regarder ses anime sur tablette ou smartphone – des écrans relativement petits – concerne moins de 20 % des répondants. A contrario, on observe qu’un tiers des participants souhaite visionner ses séries sur grand écran HD. Pour répondre à cette demande de haute qualité relevée tout au long de l’étude et arriver sur téléviseur, deux solutions s’offrent aux acteurs du support dématérialisé : la mise à disposition de fichiers lisibles sur un maximum d’appareils (qui, bien qu’elle soit déjà une réalité pour certains acteurs, n’est absolument pas connue : 91 % des interviewés se déclarent même intéressés par cette proposition !) et la création d’applications pour consoles et Box de fournisseurs d’accès à Internet.

En creux, c’est la question de la différenciation de l’offre légale en ligne par rapport au fansub qui se dessine. Alors qu’au temps du tout physique, la distinction était aisée, ne serait-ce que parce que l’acheteur avait un objet tangible entre les mains, distinguer la provenance de fichiers vidéo ou séquences streamées n’est aujourd’hui pas chose aisée pour tous (certains croyant même que l’offre légale en ligne est du fansub payant). A ce titre, la mise à disposition des anime en qualité maximale, le plus directement possible pour l’utilisateur final, constitue une clé de différenciation vis-à-vis de l’offre illégale et un moyen de devancer celle-ci auprès d’un public prêt à payer, au moins un peu, pour avoir ses épisodes plus vite et plus simplement.

Toujours dans cette optique de consolidation de l’accès à l’offre en ligne, et de façon plus anecdotique, l’étude révèle que les micro-paiements par SMS – un outil idéalement taillé pour le paiement à l’acte – sont extrêmement peu utilisés et connus bien qu’étant accessibles à tous les possesseurs de téléphone portable : seuls 27 % des interviewés déclarent en disposer. En dépit du coût important de ce type de système pour les professionnels, il pourrait être opportun d’adopter et de communiquer sur l’existence de ce moyen de paiement pour toucher une cible jeune qui a rarement accès à une carte bancaire : ceci permettrait enfin de capter un public dont on a vu qu’il était friand d’offres dématérialisées mais peu prompt à payer pour regarder de l’animation japonaise.

L’offre physique : parier sur la qualité

Alors que le marché de l’animation japonaise sur support physique en France a connu son heure de gloire au milieu des années 2000 pour ensuite entamer une chute continue, les participants à l’étude ne se satisfont pas seulement de l’offre légale en ligne et de la multiplication des simulcasts : en effet, différentes propositions concernant l’édition de DVD / Blu-Ray font l’objet d’un intérêt particulièrement fort.

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Il y a donc une vie après le simulcast puisque 80 % des personnes interrogées se déclarent « tout à fait intéressées » par la sortie physique de séries dont la diffusion est déjà terminée – à ne pas confondre avec la demande pour des séries datant déjà de plusieurs années, dont tous les professionnels diront qu’elles sont très difficiles à vendre. La majorité des interviewés souhaite également voir rééditées des séries déjà sorties en France mais aujourd’hui devenues introuvables ainsi que la sortie physique d’œuvres qui sont pour le moment uniquement disponibles au format dématérialisé – ce qui semble être le parti-pris du dernier entrant sur le marché, @Animé.

Un autre enseignement qui va à l’encontre des présupposés sur l’édition physique d’anime concerne le format HD, le Blu-Ray. Alors que tous genres confondus, celui-ci témoigne d’une croissance en deçà des espérances des professionnels, et surtout d’un sous-équipement dans les foyers, le parc d’appareils en mesure de lire des Blu-Ray concerne 60 % des participants à l’étude ! Facteur de différenciation vis-à-vis de l’offre illégale, comme pour les éditeurs en ligne, le tournant du Blu-Ray apparaît décidément comme une opportunité à ne pas ignorer et répond à la demande de haute qualité formulée par les interviewés, et notamment les trentenaires, soit une population dont on a vu qu’elle dispose d’un meilleur pouvoir d’achat et est disposée à payer pour des supports physiques.

Concernant les versions proposées sur les DVD / Blu-Ray, la nécessité d’une VO sous-titrée ne fait pas débat : c’est la version privilégiée par 80 % des participants. Les versions françaises doublées – une caractéristique fondamentale de l’offre physique –, ne sont quant à elles privilégiées que par une personne sur dix. Plus grave encore : les trois quarts des participants ne les trouvent généralement pas de bonne facture, et seul un tiers souhaite qu’elles soient proposées le plus souvent possible dans les DVD / Blu-Ray. Souvent motivé par le spectre des doublages des années 1980 (le terme de « censure » revient très souvent), le rejet intense des VF constitue un paradoxe pour l’offre physique. En effet, cette réaction massive intervient alors que les versions françaises se révèlent plus appréciées chez les trentenaires, soit le public le plus réceptif à l’édition de séries en DVD / Blu-Ray, et qu’elles sont un prérequis pour une commercialisation dans les circuits de distribution conventionnels. Ainsi, face à cette nécessité, il importe de réhabiliter l’image des versions françaises afin que l’investissement qu’elles requièrent soit profitable au public le plus large. Cela passe par une amélioration de la qualité des doublages, mais aussi par une meilleure communication autour de leur réalisation, pour faire écho aux pratiques japonaises et aux invitations régulières de comédiens de doublage en convention. La nécessité d’un bond en avant qualitatif vaut également pour les traductions écrites, puisque les comparaisons entre travaux professionnels et amateurs sont très partagées. 

Un nouveau vecteur de développement : prolonger l’expérience des œuvres

Tout au long de l’étude, plusieurs détails sur l’opinion et les pratiques en matière de consommation d’animation japonaise ont semblé suggérer que le simple visionnage n’est pas le seul rapport qu’entretenaient les participants avec une œuvre animée. Ou plus exactement, qu’un anime peut continuer de vivre après la fin de son visionnage. Cela s’illustre notamment par le fait que quasiment toutes les personnes interrogées se déclarent susceptibles de revoir une série déjà regardée, et que 65 % seraient même prêtes à payer pour le faire.

Le fait que les amateurs d’anime aient tendance à revisionner de mêmes œuvres est en soi encourageant pour toute offre qui propose de conserver celles-ci sur un support de qualité. Mais en détaillant leurs opinions et leurs attentes, les fans expriment une appétence pour davantage de contenu autour des anime.

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Ce désir de prolonger l’expérience de l’animation japonaise au-delà des œuvres elles-mêmes apparaît tout à fait logique dans un monde où, désormais, on discute et dissèque une série dès son annonce et après la diffusion de chaque épisode, où les produits dérivés peuvent être importés de l’autre bout du monde en un seul clic et où les fans les plus fervents créent même des structures pour se réunir et partager leur passion.

L’organisation d’avant-premières ou de projections d’anime au cinéma, outre sa puissance en termes de communication, constitue peut-être la meilleure réponse à cette demande car elle permet aux spectateurs de se rencontrer et de discuter de l’œuvre, tout en leur offrant un cadre exceptionnel avec lequel l’offre illégale ne peut rivaliser. Pour l’offre physique, c’est aussi l’occasion d’augmenter la qualité de ses produits et de répondre aux attentes élevées de sa clientèle naturelle (à travers l’inclusion de goodies, de bonus et d’emballages luxueux).

ENJEUX

Les enseignements de l’étude encouragent à penser qu’il existe un socle de personnes – plus étendu qu’on pouvait le croire – prêtes à participer au système économique de l’animation japonaise. Mais pour transformer l’essai, les acteurs du marché doivent poursuivre les efforts entamés pour consolider la qualité de leurs produits et répondre aux attentes d’un public hétérogène : notoriété, accessibilité, caractéristiques techniques, traduction, etc. Autant de facteurs qui, avec l’aspect communautaire et enrichissant de la prolongation de l’expérience, permettront à l’offre légale de se différencier des canaux non officiels et de dynamiser un cercle vertueux par lequel davantage de spectateurs contribueront directement à l’essor de l’animation japonaise.

2. L’offre légale : une place encourageante dans les pratiques

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